15

 

Restée seule à bord du Roi des Étoiles, Sparta poursuivit ses investigations.

Juste au-dessous de l’écoutille interne du sas principal se trouvait un espace exigu, propre à alimenter les angoisses d’une personne atteinte de claustrophobie, et principalement occupé par des casiers et des placards bourrés de matériels divers. Habituellement, trois combinaisons spatiales étaient suspendues à la paroi de ce pont-magasin. L’une d’elles manquait : celle de Grant. Une autre semblait n’avoir jamais été portée : celle de Wycherly, le pilote malchanceux. La curiosité incita Sparta à contrôler la réserve d’oxygène du scaphandre et elle constata que le réservoir était à moitié plein – de quoi tenir approximativement une demi-heure. McNeil avait-il décidé de conserver cet air dans l’éventualité où la situation se dégraderait et le contraindrait à aller se perdre à son tour dans l’espace ? La jeune femme fouilla les placards… outils, batteries, boîtes d’hydrate de lithium et autres choses de ce genre… sans rien trouver d’important pour son enquête. Elle décida de poursuivre ses recherches sur la passerelle de commandement.

Ce pont occupait une vaste section de la sphère du module de l’équipage et paraissait comparativement spacieux. Les voyants multicolores des consoles disposées sous les larges hublots du pourtour de la cabine circulaire ne cessaient de clignoter, alimentés par les batteries auxiliaires. En face se trouvaient les postes du commandant, du copilote et du technicien – bien que le Roi des Étoiles, comme d’ailleurs tous les cargos modernes, pût être guidé par un seul homme ; ou aucun, en mode automatique.

On trouvait en ce lieu un curieux mélange d’exotisme et de modernité. Si les ordinateurs étaient le nec plus ultra de la technologie, de même que les volets des hublots (bien que la conception de ces derniers n’eût guère évolué depuis un siècle), les extincteurs n’étaient toujours que de simples bouteilles de métal peintes en rouge accrochées à la cloison. En dépit des nombreux appareils encombrant la passerelle, il restait suffisamment d’espace pour permettre de se déplacer facilement, et les larges hublots offraient une vue dégagée sur les ténèbres extérieures. Tout démontrait que les techniciens ayant conçu ce vaisseau avaient tenu compte du fait que les membres de son équipage devraient y vivre pendant de nombreux mois. Sparta fut cependant étonnée de ne découvrir aucune touche personnelle. Elle ne voyait aucun dessin, poster ou photogramme de fille nue, pas la moindre originalité. Le nouveau commandant de bord ne semblait pas avoir été du genre à autoriser un tel désordre.

Depuis les consoles de la passerelle, il était possible d’accéder aux programmes de fonctionnement de l’appareil et également aux journaux de bord – celui, verbal, de Peter Grant et la boîte noire du vaisseau. En fait, Sparta pourrait consulter la quasi-totalité des informations concernant le cargo et son fret, à l’exception des fichiers personnels des membres de l’équipage.

Elle libéra un soupir et se mit à l’ouvrage. Les traces chimiques laissées sur les pupitres, les accoudoirs, les mains courantes et autres surfaces lui confirmèrent que seuls Grant et McNeil les avaient touchés depuis des semaines. Les empreintes étaient innombrables, mais la plupart remontaient à plusieurs mois et avaient été déposées par les hommes chargés de rénover l’appareil.

Sparta avait mémorisé les codes d’accès de l’ordinateur. Presque instantanément, après avoir retiré ses gants et inséré ses sondes digitales dans la prise d’extension, elle copia le contenu de tous les fichiers dans ses modules de stockage cellulaires dont la capacité était bien supérieure à celle des mémoires du cerveau artificiel de ce vaisseau.

Elle prit rapidement connaissance des données les plus intéressantes. L’inventaire du fret était conforme à celui qu’elle avait lu en effectuant le trajet Terre-Vénus ; rien de plus, rien de moins, aucune surprise. Quatre cales détachables et pouvant être pressurisées. Pour ce voyage, seul le compartiment supérieur de la cale A l’avait été – denrées alimentaires habituelles, médicaments, etc., ainsi que ce colis assuré pour deux millions de livres sterling…

D’autres articles présents dans cette cale étaient couverts pour des sommes relativement importantes, compte tenu de leur masse : deux caisses de cigares estimées à un millier de livres chacune et dont le destinataire n’était autre que Kara Antreen… Sparta eut un sourire en s’imaginant le capitaine de l’antenne locale du Bureau spatial fumant ces barreaux de chaise… et quatre conteneurs de vin, dont celui que McNeil avouait avoir entamé, et valant au total quinze mille dollars américains. Leur destinataire était ce même Vincent Darlington qui avait acquis les Sept Piliers de la sagesse.

Mais on répertoriait aussi des articles dont le coût d’expédition était supérieur à leur valeur intrinsèque, telle la vidéopuce du nouveau film à grand spectacle de la BBC « Pendant que brûle Rome », d’un poids inférieur à un kilo (principalement attribuable à l’emballage) et sans la moindre assurance. Si l’original avait coûté des millions, la reproduction des puces était plus économique que celle d’un vieux film sur pellicule ou même que d’une cassette magnétique, et (avec une perte de définition indéniable) cette superproduction aurait pu être retransmise par voie hertzienne jusqu’à Vénus pour un prix très inférieur à celui de son transport par cargo. Restait un article que Sparta avait un peu plus tôt jugé digne de son attention : une caisse de « livres divers, 25 kilos, sans valeur déclarée » adressée à Mme Sondra Sylvester.

Le contenu des autres cales était moins intéressant : outils, machines, matières inertes (une tonne de carbone sous forme de briquettes de graphite, par exemple, dont le prix de revient était un peu moins élevé si on l’importait de la Terre plutôt que l’extraire du bioxyde de carbone présent dans l’atmosphère de Vénus), exception faite de « 6 RMLV (Robots Mineurs Lourds Vénusiens) Rolls-Royce, de 5,5 tonnes chacun, pour une masse totale de 33,5 tonnes avec leurs blocs d’alimentation séparés », etc., expédiés à l’Ishtar Mining Corporation. La jeune femme obtint confirmation que l’inventaire du bord était en tout point identique à celui ayant été rendu public, un fait qu’elle avait d’ailleurs déjà vérifié avec Proboda.

Elle reporta son attention sur la boîte noire qui contenait la totalité de l’enregistrement du voyage. Étudier cette masse de données au niveau du conscient serait une tâche de longue haleine. Elle se contenta pour l’instant de faire défiler rapidement le document, en espérant que les anomalies attireraient son attention.

Elle en trouva une, dans les nombres, les odeurs, l’harmonie. Il s’agissait d’une explosion suivie d’un chapelet de détonations secondaires, des mugissements d’une sirène, d’appels à l’aide… des voix d’hommes tendus qui affrontaient le danger et s’adressaient des reproches. La boîte noire contenait l’enregistrement de tous les événements s’étant produits après l’accident.

Sparta l’écouta à la vitesse de l’éclair puis le fit repasser mentalement. Elle obtint ainsi la confirmation de ce que lui avait déjà révélé l’étude du point d’impact de la météorite.

Une autre anomalie apparaissait dans ce flot de données, juste après le message radio de Grant.

— Ici, Peter Grant, commandant du Roi des Étoiles. L’officier technicien Angus McNeil et moi-même avons conjointement estimé qu’il reste suffisamment d’oxygène pour permettre à un homme…

Mais, au cours des instants ayant précédé cette déclaration, les deux hommes ne s’étaient pas trouvés sur la passerelle. Des cloisons étouffaient leurs voix. Celle de McNeil franchit momentanément le seuil de l’audible, et elle était très sèche.

— Je te trouve plutôt mal placé pour m’accuser de comploter quelque chose…

L’accuser ?…

Reconstituer la totalité de la conversation eût été possible, mais Sparta aurait dû pour cela se plonger dans un état de transe. Si d’autres faits intéressants pouvaient également lui être révélés par cette méthode, elle n’avait pas le temps de l’utiliser. Il était encore trop tôt pour sacrifier sa vigilance. Pour l’instant, il fallait agir rapidement…

L’Hélios, ce vaisseau de ligne rapide propulsé par un puissant réacteur atomique à noyau gazeux, avait quitté la Terre depuis une semaine et se trouvait à huit journées de voyage de Port Hespérus, lorsque le message fatidique avait été diffusé dans tout le système solaire.

— Ici, Peter Grant, commandant du Roi des Étoiles…

Après quelques minutes… avant même que cet homme n’eût franchi le sas de son vaisseau pour la dernière fois…, le Bureau du Contrôle spatial ordonnait au capitaine de l’Hélios de notifier à ses passagers et à son équipage (comme l’exigeaient les lois interplanétaires) que tout message en provenance de cet appareil serait enregistré et que les informations ainsi obtenues pourraient être utilisées dans le cadre des procédures légales et administratives, y compris un éventuel procès criminel, se rapportant à l’accident survenu au Roi des Étoiles.

Ce qui revenait à dire que toutes les personnes se trouvant à bord de l’Hélios seraient considérées comme suspectes par les enquêteurs chargés d’élucider un crime pour l’instant hypothétique.

Ce vaisseau de ligne avait quitté la Terre et entamé sa trajectoire hyperbolique en direction de Vénus deux jours après la collision entre la météorite et le Roi des Étoiles. La date de son appareillage était fixée depuis des mois, mais la liste de ses passagers s’était brusquement allongée dès l’annonce de l’accident. On dénombrait désormais parmi ces derniers Nikos Pavlakis, qui représentait les armateurs du cargo accidenté, et un certain Percy Farnsworth, mandaté par le groupe Lloyd’s qui assurait le vaisseau, son fret et la vie des membres de son équipage.

Les autres personnes avaient réservé leur passage longtemps à l’avance : un célèbre professeur d’archéologie d’Osaka, trois jeunes Hollandaises parties faire le tour du système solaire, et une demi-douzaine de techniciens arabes accompagnés de leurs épouses voilées et de leurs enfants turbulents. Si les Hollandaises semblaient ravies d’être suspectées d’un crime interplanétaire, ce n’était manifestement pas le cas de Sondra Sylvester, une autre passagère ayant retenu sa place à l’avance. Quant à Nancybeth Mokoroa, sa compagne de voyage, elle trouvait pour sa part tout cela épouvantablement ennuyeux.

Ces personnes n’étaient guère sociables : le professeur japonais souriait et se tenait dans son coin, alors que les Arabes restaient entre eux sans prendre seulement la peine de sourire. Pendant les périodes d’accélération constante, les jeunes Hollandaises se déplaçaient par saccades, en titubant sur leurs hauts talons, peu habituées à porter des jupes aussi serrées, que ce fût sur Terre ou en apesanteur. Elles se faisaient en outre un devoir de dévorer constamment du regard l’unique mâle non accompagné de plus de quinze ans et de moins de trente ans, qui ne leur retournait d’ailleurs pas le compliment. Cet homme s’appelait Blake Redfield, un passager de dernière minute qui semblait lui aussi apprécier la solitude.

Des rencontres avaient malgré tout lieu dans le salon du vaisseau. Là, Nikos Pavlakis s’efforçait avec une nervosité manifeste de s’attirer les bonnes grâces d’une de ses clientes, Sondra Sylvester, chaque fois que leurs chemins se croisaient. C’était rare, cependant, car elle prenait grand soin de l’éviter. Ce pauvre homme était quoi qu’il en soit tourmenté par ses problèmes et passait la majeure partie de son temps à bercer dans ses paumes un bulbe d’ouzo et un sachet d’olives de Kalamata. Farnsworth se tapissait dans l’ombre pour aspirer sa boisson favorite, du gin nature, tout en foudroyant Pavlakis du regard. Ce dernier et Sylvester effectuaient de larges détours dès qu’ils apercevaient l’assureur.

Mais ce fut dans le salon, peu après l’admirable sacrifice de Grant, que Sylvester trouva Farnsworth en compagnie de Nancybeth qui sirotait un bulbe de calvados chaud. L’homme entre deux âges et la jeune femme de vingt ans flottaient, sans poids et un peu gris, devant un décor spectaculaire d’étoiles authentiques. Cette vision emplit Sylvester de fureur – ainsi que sa compagne avait probablement dû l’escompter. Avant d’approcher, elle réfléchit à la situation. Pourquoi s’en préoccuper, après tout ? Nancybeth avait une beauté à couper le souffle mais une loyauté de martre. Sylvester estima malgré tout qu’elle ne pouvait se permettre d’ignorer plus longtemps ce renard de Farnsworth.

Nancybeth observa son approche avec un amusement malicieux, uniquement trahi par l’apesanteur et l’alcool.

— Salut, Sondra. Viens que je te présente mon ami Prissy Barnsworth.

— Percy Farnsworth, madame Sylvester.

Se lever dans un milieu sous microgravité est un acte périlleux, mais il parvint malgré tout à se redresser et à incliner le menton pour esquisser un mouvement de tête acceptable.

Sylvester l’étudia avec dégoût. Bien qu’approchant de la cinquantaine, cet homme évoquait un jeune officier britannique permissionnaire parti chasser le faisan – ce genre de militaire dont l’archétype était le lieutenant-colonel Witherspoon qu’elle avait récemment rencontré sur le terrain de manœuvre de Salisbury. Farnsworth avait en effet une moustache, une veste avec des empiècements de cuir aux coudes, et un cou d’une rigidité peu commune. Son accent d’une grande école et sa diction sèche de rat du désert paraissaient cependant d’acquisition récente.

Sylvester regarda au-delà de la main qu’il lui tendait.

— Prends garde, Nancybeth. Les alcools forts provoquent des réveils pénibles.

— Cette chère maman Sylvester, minauda sa compagne. Ne vous l’avais-je pas dit, Farny ? Experte en tout. Je n’avais jamais entendu parler de ça.

Elle jongla avec son bulbe de calvados et rata le troisième lancer. Farnsworth saisit la sphère dans les airs et la lui rendit sans faire de commentaire.

— J’ai cru comprendre que vous aviez effectué un séjour très agréable dans le sud de la France, madame Sylvester, dit-il en feignant de ne pas noter l’attitude hostile de son interlocutrice.

Cette dernière lui adressa un regard qui aurait dû le réduire au silence, mais Nancybeth lança d’une voix flûtée :

— Elle a passé deux jours très agréables. Trois ? Et je me suis pour ma part ennuyée à mourir pendant trois semaines.

— Monsieur Farnsworth, se hâta de dire Sylvester, que vous fassiez boire ma compagne dans l’espoir d’obtenir des informations pouvant éventuellement vous être utiles est absolument… évident. Nancybeth ouvrit de grands yeux.

— Me faire boire ? Pourquoi, monsieur Farmerworthy…

Et elle rabattit d’un geste vif la jupe gonflante de sa robe à fleurs imprimée.

— … et méprisable, ajouta Sylvester.

Mais Farnsworth fit mine de ne pas avoir relevé ses propos.

— Je ne voulais pas vous offenser, madame. Nous bavardions de choses et d’autres, c’est tout. Et si vous vous référez à ce regrettable accident, c’est un sujet que je préférerais aborder franchement avec vous.

— D’homme à homme, pour ainsi dire, grommela Nancybeth.

Puis elle fit semblant de tressaillir quand Sylvester la foudroya du regard. Elle était de toute évidence encore plus ivre qu’elle ne le semblait de prime abord.

— Vous vous méprenez sur mon compte, madame Sylvester, ajouta doucereusement Farnsworth. Il serait dans un certain sens possible de dire que vos intérêts et les miens sont liés.

— Parce que vous devrez régler à vos clients les sommes que vous ne serez pas parvenu à détourner ?

Il se redressa légèrement.

— Vous n’avez rien à craindre, madame. Le Roi des Étoiles atteindra Port Hespérus avec le fret que vous lui avez confié, même si ce n’est plus alors qu’un vaisseau fantôme. Je doute qu’une simple météorite puisse détruire des robots Rolls-Royce, non ?

Pendant leur échange de paroles, Nancybeth grimaçait. Elle arborait une succession de masques parodiques, mimant tout d’abord l’expression méprisante et hautaine de Sylvester, puis celle outragée de Farnsworth. En d’autres circonstances, de telles mimiques puériles lui apportaient un charme enfantin. Dans le cadre de cet entretien, cependant, cela la rendait aussi sympathique qu’un morveux de deux ans manifestant un épouvantable caprice.

— Je vous remercie pour l’intérêt que vous me portez, monsieur Farnsworth, répondit sèchement Sylvester. Et peut-être aurez-vous l’amabilité de nous laisser seules, à présent ?

— Permettez-moi d’être direct, madame Sylvester. Excusez ma franchise, mais…

— Pourquoi ne pas être indirect ? suggéra Nancybeth.

— … nous sommes tous deux au courant des difficultés que rencontrent les Pavlakis Lines, termina Farnsworth.

— J’ignore tout de leur situation financière.

— Il n’est pas nécessaire de posséder une imagination débordante pour voir ce que les armateurs ont à gagner en sabordant leur propre appareil, non ?

— Nancybeth, j’aimerais que tu viennes avec moi, immédiatement.

Sylvester s’était déjà détournée.

— Mais Nikos Pavlakis s’y est assez mal pris, ne trouvez-vous pas ? insista Farnsworth d’une voix plus dure, tout en se propulsant vers Sylvester. Nul dommage important au vaisseau, pas le moindre au fret. Pas même à ce livre célèbre auquel vous vous êtes tant intéressée.

— Vous oubliez l’équipage, lança l’autre femme sous l’emprise de l’alcool. Il a tenté de tuer ces hommes !

— Seigneur, Nancybeth…

Sylvester porta les yeux vers l’autre côté du salon où Nikos Pavlakis berçait toujours son bulbe d’ouzo.

— Comment peux-tu dire une chose pareille d’une personne que tu n’as jamais rencontrée ?

— Mais il n’en a eu que la moitié, acheva la fille. Ce vieil Angus a la peau dure.

— On ne peut rejeter cette hypothèse, madame Sylvester, et je pense pour ma part que Nancybeth voit juste, déclara Farnsworth en fermant les yeux à demi. Les Pavlakis Lines souscrivent pour les membres de leurs équipages des assurances sur la vie garantissant le versement de sommes très importantes, en cas de mort accidentelle. Le saviez-vous ?

Elle le fixa, presque à son corps défendant.

— Non, monsieur Farnsworth, je l’ignorais.

— Mais un suicide, cependant… C’est une autre affaire…

Sylvester détourna le regard. Quelque chose en lui, ses dents, ses cheveux roux, portait à ébullition le contenu de son estomac. Elle fixa durement Nancybeth, qui baissa les yeux en une parodie d’attitude de soumission. Saisissant une main courante proche, Sylvester leur tourna le dos et se propulsa vers la pénombre.

— Bye-bye, Sondra… je regrette de t’avoir irritée, chantonna Nancybeth alors que l’autre femme sortait du salon.

Elle fit un clin d’œil à l’assureur.

— Suicide ? Cela signifie que vous ne verserez rien à Grant ? Pour Grant, voulais-je dire. Parce que ce n’est pas un accident ?

— Ça se pourrait. À moins qu’il ne s’agisse pas non plus d’un suicide, naturellement.

— Que ce… ? Oh ! Je vois. Et s’il a été assassiné ?

— Ah ! Le meurtre. Voilà un domaine où les clauses sont pour le moins imprécises.

Farnsworth redressa le nœud de sa cravate en polymère rouge sang.

— J’ai passé un moment très agréable en votre compagnie, Nancybeth, mais je crains de devoir vous laisser.

— Je comprends, Percy, roucoula la jeune femme, consciente d’être sur le point d’être abandonnée avant même d’avoir été séduite.

C’était donc la seule chose qu’il avait voulu obtenir d’elle, une simple opportunité de s’entretenir avec Syl.

— Qu’attendez-vous pour disparaître ? Et pendant que vous y êtes, inspirez-vous du commandant Grant. Allez donc vous jeter dans le vide, vous aussi.

 

*

 

De l’autre côté de la salle, à côté du comptoir, Nikos Pavlakis flottait en serrant dans ses mains son bulbe d’ouzo et son sachet d’olives. Il était parfaitement conscient d’avoir fait l’objet de leur conversation. Sa colère lui intimait d’aller affronter Farnsworth, de lui demander immédiatement des comptes, mais son sens des affaires le pressait de garder son calme à tout prix. Il bouillait d’impatience de découvrir les dommages subis par son magnifique cargo rénové à grands frais et il était sincèrement désolé pour Grant, qui avait fidèlement servi les intérêts de sa famille depuis de nombreuses années. Il s’apitoyait en outre sur le sort de sa veuve et de ses orphelins, et s’inquiétait pour l’avenir de McNeil, un autre homme de valeur…

Il pensait savoir ce qui était arrivé au Roi des Étoiles. Rétrospectivement, cela lui paraissait évident, limpide, et il espérait que personne d’autre que lui ne parviendrait aux mêmes conclusions. Il ne pourrait se permettre de souffler mot de ses soupçons à qui que ce soit. Et surtout pas à Farnsworth.

 

*

 

Pendant que l’Hélios se plaçait en orbite de stationnement à proximité de Port Hespérus, Sparta se trouvait toujours à bord du Roi des Étoiles.

Elle avait rapidement étudié la cuisine, le réduit hygiénique et le carré, sans rien découvrir à même d’infirmer le récit de McNeil. Un logement du placard à pharmacie qui aurait dû abriter une petite fiole de poison insipide et inodore était vide. Deux paquets de cartes se trouvaient dans le tiroir de la table ; un encore dans son emballage et l’autre ayant été manipulé par les deux hommes – si les empreintes laissées par McNeil étaient plus marquées, Grant avait fortement serré une carte. Elle prit note de sa valeur.

Après les parties communes, Sparta se rendit dans la cabine de Wycherly. Personne n’y était entré depuis que cet homme avait quitté les chantiers de Falaron.

Celle de Grant, ensuite – rendue intéressante par son absence d’intérêt. La couverture du lit fait au carré était à tel point tendue qu’une pièce de monnaie lâchée au-dessus y eût rebondi. Les vêtements du commandant se trouvaient dans les paniers à linge, soigneusement pliés. Les livres et les fichiers informatiques personnels de cet homme étaient pour la plupart des manuels techniques et des ouvrages didactiques ; rien n’indiquait qu’il lût parfois pour le simple plaisir ou qu’il eût d’autres passe-temps que la micro-électronique. Les lettres adressées aux siens et mentionnées dans son dernier message radio étaient serrées dans la pince du petit secrétaire rabattable. Sans y toucher, Sparta s’assura qu’elles ne portaient que les empreintes de Grant. Si McNeil s’était interrogé sur leur contenu… ce qui était probable…, il avait eu la décence de ne pas en prendre connaissance. En fait, on ne trouvait aucune trace de la présence du technicien, ici.

Elle découvrit dans le tiroir du bureau une lettre adressée à McNeil. Mais comme ce dernier n’avait pas fureté dans les affaires de Grant, il devait ignorer jusqu’à son existence.

La cabine du survivant permettait de brosser le portrait d’un individu très différent. Son lit n’avait pas été fait depuis des jours, peut-être des semaines, et Sparta nota sur les draps des taches de vin qui dataient de son altercation avec Grant, s’il avait dit la vérité en affirmant qu’il n’était pas retourné dans la cale A après la modification de la combinaison de son sas. Ses vêtements s’entassaient pêle-mêle dans les paniers à linge de son placard. Les titres des vidéopuces de sa bibliothèque étaient fascinants par leur diversité. Il y avait des œuvres mystiques : le Tao-tö king de Lao-tseu, un traité sur l’alchimie et un autre sur la Cabale. La philosophie était également représentée par les Prolégomènes à toute métaphysique future de Kant et L’Origine de la tragédie de Nietzsche.

McNeil possédait même de véritables livres, photogrammés sur des feuilles de plastique imitant le papier utilisé un siècle plus tôt. Ses loisirs : un petit guide de la prestidigitation, un traité d’échecs, un autre sur le jeu de go. Des romans : l’étrange Jurgen de Cabell, un ouvrage récent de l’école futuriste martienne, Dionysus Redivivus.

Ses fichiers informatiques personnels étaient révélateurs d’intérêts différents mais tout aussi étendus – seuls quelques instants furent nécessaires à Sparta pour découvrir qu’il se livrait à des parties d’échecs de très haut niveau contre l’ordinateur ; qu’il suivait consciencieusement les cours des Bourses de Londres, New York, Tokyo et Hong-kong ; qu’il s’était inscrit à un grand nombre de clubs, de la Rose-du-mois au Vin-du-mois. Du vin et des roses… il devait être submergé par leur nombre, à chacune de ses escales.

Certains fichiers étaient protégés par des mots de passe qui auraient arrêté un simple curieux mais aux clés si élémentaires que Sparta les trouva aussitôt. Et elle découvrit des créations graphiques ayant mis à contribution toutes les possibilités de haute définition de l’ordinateur. Un siècle plus tôt, l’invention des magnétoscopes de salon avait permis aux films pornographiques de pénétrer dans un grand nombre de foyers, mais il s’agissait d’une innovation mineure, comparée à ce qui avait découlé de la mise au point des micropuces à haute densité d’une puissance équivalente à celle d’un super-ordinateur. Ces dernières avaient apporté une nouvelle signification au terme d’« interactivité créative ». La libido de McNeil était mise à nu dans ces fichiers, que Sparta se hâta de fermer sitôt après les avoir ouverts. Bien qu’ayant les idées larges, elle n’avait pu s’empêcher de rougir.

Elle emprunta la coursive qui traversait le centre du pont des systèmes de survie. L’explosion s’était produite juste au-delà de ces parois rapprochées, incurvées et lisses ; au même instant les écoutilles avaient été automatiquement closes pour empêcher la décompression du module de l’équipage.

Elle passa dans le sas des cales et regarda les trois portes auxquelles le mot « VIDE » interdisait l’accès et celle où un doigt jaune lumineux déclarait simplement : « Entrée formellement interdite à toute personne non autorisée. »

McNeil avait dit la vérité. Si le pavé numérique portait les empreintes de ses doigts et de ceux de bien d’autres personnes, les plus récentes étaient celles de Peter Grant. Sur six touches, elles se superposaient au reste. Sparta ne put reconstituer l’ordre dans lequel il les avait pressées… ce qui représentait un nombre de combinaisons équivalant au produit de la factorielle six… mais elle aurait pu réduire très rapidement les possibilités à quelques-unes seulement en tenant compte des facteurs de probabilités et en se basant sur ce qu’elle savait de cet homme.

Il eût été sans objet de perdre ainsi du temps, cependant, car elle avait découvert ce code dans le fichier informatique personnel de Grant.

Elle pressa les touches. La diode située à côté de l’écoutille passa du rouge au vert. Elle fit tourner le volant et tira le panneau. À l’intérieur du sas, les indicateurs lui confirmèrent que la pression interne de la cale correspondait à la pression extérieure. Un instant plus tard, elle ouvrait la seconde porte et se propulsait dans la soute.

Il s’agissait d’un espace circulaire exigu, à peine assez haut pour qu’elle pût se tenir debout au milieu des casiers où s’entassaient des sacs et des conteneurs de métal et de plastique. Le plafond de ce compartiment n’était autre que la calotte renforcée de la cale elle-même, son sol, une séparation d’acier amovible ancrée dans la paroi. Les marins d’antan qui parcouraient les océans de la Terre lestaient les coques de leurs navires avec du sable et des roches, lorsqu’ils effectuaient une traversée sans fret payant à bord, mais tel n’était pas le but recherché dans l’espace. En poupe des quelques étagères disposées sur le pourtour de la partie supérieure pressurisée de cette cale, on ne trouvait que le vide.

Les palettes solidement arrimées près du sas étaient chargées de riz complet, de pointes d’asperges en gelée, de caisses de gibier congelé – des mets de choix qui valaient plus que leur poids d’or après avoir fait un tel voyage.

Et l’on trouvait naturellement l’assortiment d’objets disparates qui avait éveillé la curiosité de Sparta lors de sa première lecture de l’inventaire : les cigares cubains de Kara Antreen et les « livres sans valeur déclarée » de Sondra Sylvester, qui se trouvaient dans un conteneur de polystyrène gris ne portant que très peu de traces de manipulations – elle reconnut les empreintes de Sylvester, celles de McNeil et de Grant, et d’autres appartenant à des inconnus, mais aucune n’était récente. Elle déduisit rapidement quelle était la combinaison de la serrure et trouva à l’intérieur des ouvrages en papier et en plastique, reliés de toile ou de cuir, ou aux jaquettes illustrées bizarres, mais rien d’inattendu. Elle referma le conteneur.

Elle se rapprocha du colis destiné à Darlington, une boîte en polystyrène gris ressemblant à la précédente mais dotée d’un verrou magnétique aux combinaisons encore plus nombreuses que celles du pavé numérique du sas. Cet objet ne portait aucune trace de manipulation. Chose étrange, elle paraissait n’avoir jamais été touchée. Les seuls signaux chimiques étaient une forte odeur de détergent, de méthanol, d’acétone et de tétrachlorure de carbone. Elle paraissait avoir fait l’objet d’un nettoyage consciencieux.

Une mesure préventive, au même titre que le cheveu tendu entre le montant et le battant d’un placard et destiné à révéler son ouverture. Eh bien, une chose était certaine, personne n’y avait touché.

À l’exception de Sparta, qui poursuivit ses investigations. La clé de ce verrou était un ensemble peu important de petits nombres premiers. Un individu ne possédant pas ses capacités n’aurait pu trouver cette combinaison en moins de quelques jours et sans l’aide d’un puissant ordinateur – et tout ce temps eût été nécessaire pour traiter seulement la moitié des possibilités. Mais Sparta les éliminait par millions et milliards, instantanément, en lisant simplement les éléments tracés sur les circuits magnétiques du verrou et en rejetant ceux qui se trouvaient au repos.

Elle dut pour cela se placer dans un état de transe. Cinq minutes plus tard le couvercle s’ouvrait sur le livre.

L’homme qui l’avait fait imprimer à ses frais appréciait les belles choses. Il accordait autant d’importance au contenant qu’au contenu et avait choisi ce que l’on pouvait trouver de plus beau pour ceux qu’il espérait impressionner par cet ouvrage, ou simplement ses amis. Les Sept Piliers de la sagesse avaient non seulement reçu la protection d’un étui marbré, une reliure de cuir et de magnifiques pages de garde, mais le texte avait été imprimé en linotypie sur papier bible.

Si Sparta connaissait naturellement l’existence des caractères en métal fondu, c’était la première fois qu’elle voyait un ouvrage imprimé par cette technique. Elle fit glisser le livre hors de son étui et le laissa s’ouvrir de lui-même. Elle put immédiatement constater que chaque lettre avait été pressée sur le papier, qu’il ne s’agissait pas d’un simple ajout sans épaisseur mais d’une quantité d’encre savamment dosée et imprégnée dans le support. Ce travail artisanal effectué sur un objet de fabrication industrielle l’emplissait d’admiration. Le papier lui-même possédait une finesse et une souplesse extraordinaires, sans aucun rapport avec les feuilles friables et décolorées des reliques du passé qu’il lui avait été donné de voir à la Bibliothèque de New York.

La richesse et la beauté de l’ouvrage qu’elle tenait dans ses mains étaient hypnotiques et lui imposaient de tourner ses pages. Elle en oublia un instant son enquête. Elle désirait uniquement partir à la découverte de cet objet. Elle lut la page sur laquelle il s’était spontanément ouvert.

« Une faute accidentelle est plus avilissante qu’une faute délibérée », avait écrit l’auteur. « Si je n’hésitais pas à risquer ma vie, pourquoi aurais-je dû tout mettre en œuvre pour la salir ? Cependant, vie et honneur semblaient appartenir à des catégories différentes… ou l’honneur était-il comparable aux Livres sibyllins, moins il en subsistait, plus le peu restant acquérait de la valeur… ? »

Elle trouva cette pensée étrange. Le fait de considérer l’honneur comme une denrée matérielle, d’autant plus précieuse qu’elle se raréfiait.

Sparta referma le livre légendaire et le glissa dans son étui, avant de remettre le tout à l’intérieur du conteneur matelassé. Elle avait vu tout ce qu’elle désirait voir, à bord du Roi des Étoiles.

 

Point de rupture
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